La mort de Patrocle constitue un tournant dans l’Iliade d’Homère. Achille s’était retiré de la bataille parce qu’il avait été offensé par Agamemnon. Lorsque Patrocle est tué par Hector, il devient fou et jure de se venger d’Hector. Achille reçoit une nouvelle armure, fabriquée par le dieu Héphaïstos, et se lance dans un déchaînement sanglant qui se termine par la mort du champion de Troie.

Amis ou amants ?

Déjà à l’époque classique, certains considéraient Achille et Patrocle comme des amants. Prenons, par exemple, la célèbre plaque attique à figures rouges d’environ 500 av. J.-C., qui montre Achille bandant Patrocle (ici représentée en noir et blanc) :

Plaque attique à figures rouges représentant Achille bandant Patrocle. Ca. 500 AV. Actuellement exposé au musée Staatliche de Berlin.

Pour un Grec classique instruit, l’imagerie laisse peu de place à l’imagination. Ce sont des hommes qui ont aussi une relation pédérastique. Dans ce cas, Patrocle est représenté avec une barbe et est censé être le plus âgé des deux ; Achille est rasé de près. Achille est également représenté en train de se soumettre à son compagnon plus âgé, en train de panser une blessure de flèche sur le haut du bras gauche. En outre, leurs parties génitales sont visibles : Patrocle a écarté les jambes et les parties génitales d’Achille sont faiblement visibles à travers le bas de sa tunique. L’apparence et la pose de Patrocle indiquent clairement que c’est lui qui prendrait l’initiative des avances sexuelles.

Cette image d’Achille et de Patrocle en tant qu’amants s’est profondément ancrée. Lorsqu’Oliver Stone réalise son film Alexandre, les personnages d’Alexandre le Grand et d’Héphaïstos sont fréquemment comparés à Achille et Patrocle. Les lecteurs modernes qui travaillent leur chemin à travers l’Iliade sont susceptibles de considérer Achille comme enragé à cause de la mort de son amant.

Mais il n’y a aucune suggestion dans les poèmes homériques qu’Achille et Patrocle étaient autre chose que des compagnons de guerre, des compagnons proches qui se trouvaient avoir également grandi à la cour du roi Pélée comme des frères. (Patrocle avait été envoyé au père d’Achille après avoir tué accidentellement un autre garçon). Dans le monde homérique, toutes les histoires d’amour sont strictement réservées aux hommes et aux femmes, à l’exception d’une étrange référence à Zeus enlevant le beau garçon Ganymède. Le grand amour d’Achille dans l’Iliade, nous sommes amenés à le croire, était la fille Briseis, qu’il avait conquise par l’épée.

Traumatisme au combat

Jonathan Shay, dans son Achilles in Vietnam : Combat Trauma and the Undoing of Character (1994), utilise son expérience de psychiatre traitant des vétérans de combat et présente une interprétation de la relation entre Achille et Patrocle plus conforme à l’Iliade.

Le chagrin manifesté par Achille est, en effet, similaire à celui que ressentent les soldats modernes lorsqu’ils perdent un de leurs compagnons d’armes. En apprenant la nouvelle de Patroclus, il sombre dans une lourde dépression, renonçant à se nourrir et envisageant même le suicide. Comme pour les vétérans modernes traités par Shay, le chagrin d’Achille qui perd un compagnon proche dans une situation de combat se transforme rapidement en une rage incontrôlable : ce n’est pas sans raison que le premier mot que l’on lit dans l’Iliade est menis,  » rage « .

Shay explique plus loin (p. 53) :

Ce que je veux souligner ici, c’est la transformation rapide du chagrin en rage. Pour beaucoup de vétérans dans notre programme de traitement du stress post-traumatique de combat, le remplacement du chagrin par la rage a duré des années et est devenu une manière d’être bien ancrée. Une grande partie de l’effort thérapeutique vise à réveiller l’expérience du deuil, que nous considérons comme un processus de guérison, aussi douloureux soit-il.

Une rage incontrôlable se transforme en massacre dans une tentative de se venger de la mort de son proche compagnon. Même les autres Myrmidons se joignent à lui, tuant des Troyens pour soulager la douleur dans leur cœur. Le déchaînement d’Achille cause la mort d’innombrables Troyens et de leurs alliés, comme Astéropée. La rivière Scamandre devient même rouge de sang et s’étouffe de corps.

Achille finit par rattraper Hector et le tue dans un bref duel. Mais la mort d’Hector ne suffit pas à assouvir le chagrin d’Achille, et donc sa rage. Il est, comme l’affirme Shay, fou de rage (pp. 77-81). Achille perd tout contrôle ; le simple fait de tuer Hector ne suffit pas : il doit mutiler le cadavre. Il le fait en attachant le cadavre d’Hector derrière son char et en le traînant autour de Troie pendant douze jours supplémentaires. Comme le dit Shay, en parlant d’un vétéran, Achille a tout simplement  » perdu la tête  » (p. 82).

Rédemption

Ce n’est que vers la fin de l’Iliade que nous voyons le chagrin d’Achille déplacer lentement sa rage. Priam a réussi à se faufiler dans le camp grec et s’approche du héros dans sa tente. Achille ne le reconnaît pas. Priam tombe à genoux et baise les mains d’Achille, puis fait référence au père âgé d’Achille, Pélée, et demande au chef de guerre myrmidon d’avoir pitié de lui (Il. 24.505-506) :

J’ai vécu ce qu’aucun autre mortel sur terre n’a vécu ; j’ai posé mes lèvres sur les mains de l’homme qui a tué mes enfants.

Achille finit par craquer et pleurer, à la fois pour son propre père âgé, abandonné à Phthie, et pour Patrocle, son proche compagnon. C’est à ce moment de l’Iliade qu’Achille parvient lentement à accepter son chagrin. Parlant et pleurant avec Priam, il décide de rendre le corps d’Hector, et reçoit en compensation une foule de trésors.

Enfin, Patroclus peut être mis au repos.

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