ABSTRACT
Nous décrivons une souche clinique inhabituelle de Staphylococcus aureus catalase-négative résistant à la méthicilline sensu stricto. L’analyse de la séquence de son gène de la catalase a montré des identités de 99,60% avec les gènes de la catalase des souches de référence. Une délétion de 5 bases a cependant conduit à un déplacement du cadre de lecture nucléotidique et à une perte de l’activité enzymatique.
La production de catalase est considérée comme un déterminant de virulence chez Staphylococcus aureus, permettant aux bactéries de mieux résister à la destruction intra- et extracellulaire par le peroxyde d’hydrogène (4, 5). Les espèces de Staphylococcus sont catalas positives et anaérobies facultatives, à l’exception de S. aureus subsp. anaerobius et S. saccharolyticus, qui sont catalas négatives et anaérobies. Ce dernier est généralement considéré comme apathogène. La catalase de S. aureus est codée par le gène katA, qui possède un cadre de lecture ouvert de 1 518 pb et code pour une protéine de 505 acides aminés (9). S. aureus subsp. anaerobius possède un gène muté, appelé katB, qui a une longueur de 1 368 pb et code pour un polypeptide de 455 acides aminés. Par rapport à la séquence nucléotidique de katA, celle de katB présente six mutations faux-sens et une délétion d’une seule paire de bases, située au pb 1338 en amont du codon d’initiation, qui entraîne un décalage du cadre de lecture nucléotidique et une terminaison prématurée de la traduction au pb 1368 (9).
Des souches de S. aureus anaérobies et catalases négatives ont été signalées. Cependant, aucune d’entre elles n’a été caractérisée par des méthodes moléculaires (1, 2, 7, 10, 12). Nous décrivons ici un isolat de S. aureus résistant à la méthicilline (SARM) catalase-négatif qui a été caractérisé par amplification et séquençage du gène putatif de la catalase. À notre connaissance, il s’agit de la première description moléculaire d’une souche de S. aureus subsp. aureus catalase-négative.
Un homme de 65 ans a été admis à l’unité de soins intensifs du service de chirurgie de l’hôpital universitaire de Mayence. Il était multimorbide, souffrant d’une cirrhose hépatique alcoolique, d’une hypertension artérielle, d’une maladie coronarienne, d’une insuffisance cardiaque (classe II selon la classification de la New York Heart Association), d’un diabète sucré et d’une maladie pulmonaire obstructive chronique. Un échantillon de sécrétion trachéale a été prélevé pour une investigation microbiologique de routine, sans que des signes d’infection ne soient apparents à ce moment-là.
L’échantillon de sécrétion trachéale a été traité de manière conventionnelle, et des colonies bêta-hémolytiques crémeuses, typiques de S. aureus, ont été observées sur une gélose au sang de mouton à 5%. L’isolat a été testé négatif à plusieurs reprises pour la catalase après une incubation aérobie ou anaérobie, même à la cinquième sous-culture. Il a bien poussé en aérobiose et en anaérobiose. Les résultats du test de la coagulase sur lame et du test de la DNase étaient fortement positifs. Le système BBL CRYSTAL pour les bactéries gram-positives (Becton Dickinson Company, Sparks, MD) et le système API Staph (bioMérieux, Marcy l′Etoile, France) ont identifié l’isolat comme étant S. aureus avec des probabilités de 98,6 % et 97,8 % (codes de profil 0064773465 et 6736153), respectivement. L’analyse de la séquence d’ADN du gène de l’ARNr 16S a confirmé que la souche était S. aureus subsp. aureus. Cette souche a été déposée dans la DSMZ (Collection allemande de micro-organismes et de cultures cellulaires) sous le numéro DSM 18827.
La sensibilité aux antibiotiques a été déterminée par diffusion en disque sur une gélose Mueller-Hinton selon les directives du CLSI (Clinical and Laboratory Standards Institute). La souche était résistante à la pénicilline, à l’oxacilline, au céfaclor, au céfuroxime, à l’érythromycine, à la clindamycine et à la ciprofloxacine, mais sensible à la gentamicine, à la rifampicine, au sulfaméthoxazole-triméthoprime, à la vancomycine, à la teicoplanine et au linézolide. Ceci représente le phénotype typique des souches endémiques de SARM observées dans notre institut. La souche a été confirmée comme étant un SARM en utilisant la PCR pour identifier les gènes spécifiques du mecA et de S. aureus comme décrit précédemment (6).
La séquence nucléotidique du gène de la catalase de S. aureus dans la souche SARM catalase-négative a été amplifiée par PCR en utilisant les amorces décrites précédemment (9), et les deux brins ont été séquencés en utilisant la chimie du colorant terminateur avec un analyseur d’ADN ABI PRISM 3700. L’analyse de la séquence a révélé une identité de 99,60 % avec celle du gène de la catalase katA de la souche Mu50 ou N315 de SARM (numéro d’accession de la banque de gènes BA000017 ou BA000018, respectivement), avec une différence de 6 nucléotides aux positions 1152 et 1388 à 1392 en amont du codon d’initiation. La substitution d’une seule base (T) située au pb 1152 en amont du codon d’initiation représentait une mutation silencieuse. Cependant, la délétion de cinq bases (AAACG) (pb 1388 à 1392 en amont du codon d’initiation) a entraîné un déplacement du cadre de lecture nucléotidique, avec pour conséquence le remplacement d’acides aminés consécutifs et la terminaison prématurée de la traduction au pb 1418. De même, notre séquence du gène de la catalase était identique à 99,54 % aux séquences katA des souches MSSA476, COL, NCTC 8325, USA300 et MW2 de S. aureus subsp. aureus, dont les génomes complets ont également été séquencés, avec confirmation répétée de la même délétion de 5 bases.
Cette mutation différait donc fondamentalement des mutations qui ont été décrites pour le gène de la catalase katB des souches de S. aureus subsp. anaerobius catalase-négatives (GenBank accession No. AJ000471) (9). Cependant, les conséquences d’une délétion dans la région C-terminale de la catalase semblaient être les mêmes, c’est-à-dire un déplacement du cadre de lecture nucléotidique, un codon de terminaison précoce et une perte de l’activité enzymatique.
Deux espèces de Staphylococcus, S. aureus subsp. anaerobius et S. saccharolyticus, sont connues pour ne pas produire de catalase. Notre souche diffère de ces espèces sur la base de sa capacité à bien se développer dans des conditions aérobies, de son expression du facteur d’agglutination, de sa production d’acide à partir du tréhalose et du lactose, et de sa séquence d’ARNr 16S.
Les catalases, ou plus correctement, les hydroperoxydases, sont des enzymes impliquées dans la dégradation du peroxyde d’hydrogène (généré pendant le métabolisme cellulaire ou rencontré pendant l’infection de l’hôte) en eau et en oxygène moléculaire. La catalase a longtemps été impliquée comme un déterminant de virulence chez S. aureus. L’importance de l’expression in vivo des enzymes du stress oxydatif que sont la catalase et la superoxyde dismutase a été suggérée par l’analyse d’isolats cliniques présentant des niveaux réduits d’expression de ces enzymes (4, 5). S. aureus subsp. anaerobius est très étroitement lié à S. aureus sensu stricto et partage avec lui la capacité de produire des toxines et des enzymes extracellulaires mais est doté d’un potentiel pathogène beaucoup plus faible que S. aureus (9). La survie intracellulaire et la multiplication extracellulaire jouent toutes deux un rôle important dans la pathogenèse des infections à S. aureus. La survie intracellulaire des neutrophiles, des cellules endothéliales, des cellules épithéliales et des ostéoblastes a été décrite pour S. aureus et nécessite donc que les bactéries puissent résister au stress oxydatif (3). La catalase est un composant essentiel pour le maintien de la viabilité pendant la famine à long terme, une capacité importante pour la transmission nosocomiale de S. aureus ou du SARM (11). Enfin, la production de catalase est un mécanisme important permettant à S. aureus de coexister avec des micro-organismes qui génèrent du peroxyde d’hydrogène dans un environnement aérobie comme les voies respiratoires supérieures. L’activité bactéricide de Streptococcus pneumoniae envers S. aureus est apparemment médiée par le peroxyde d’hydrogène, fournissant une explication mécanistique possible pour l’interférence inter-espèces observée dans les études épidémiologiques (8).
La pertinence clinique des souches de S. aureus catalase-négatives nécessite une étude. Dans les rapports précédents, les souches de S. aureus catalase-négatives ont été isolées à partir d’échantillons de sang, de cathéters, d’échantillons de sécrétions bronchiques, d’ulcères et d’autres plaies associées à des infections ou à des endémies nosocomiales (1, 2, 7, 10, 12). Bien que peu nombreux, ces rapports apportent la preuve que la catalase n’est pas une condition absolue de la pathogénicité. Cependant, il est possible que la pathogénicité ou l’efficacité de transmission soit diminuée. Dans notre cas, la souche de SARM catalase-négative a été isolée à plusieurs reprises chez le même patient, mais jamais chez d’autres patients de l’unité de soins intensifs ou de l’hôpital universitaire. Rien n’indiquait que la souche avait provoqué une infection. Le profil de résistance aux antibiotiques suggère une origine commune de la souche de SARM négative à la catalase et d’autres souches locales de SARM. Il existe peu, voire aucun, rapport de SARM catalase-négatif isolé d’un patient sans maladie apparente de l’isolat. Cet article présente un rapport unique en ce sens. C’est également le premier rapport d’une souche de S. aureus subsp. aureus catalase-négative caractérisée par des méthodes moléculaires.
Numéro d’accession de la séquence nucléotidique.
La séquence du gène de la catalase identifiée dans cette étude a été soumise à GenBank sous le numéro d’accession. EF140590.