Montesquieu

Jan 26, 2022

Montesquieu est crédité d’être parmi les géniteurs, qui incluent Hérodote et Tacite, de l’anthropologie – d’être parmi les premiers à étendre les méthodes comparatives de classification aux formes politiques des sociétés humaines. En effet, l’anthropologue politique français Georges Balandier considérait Montesquieu comme « l’initiateur d’une entreprise scientifique qui a joué pendant un certain temps le rôle de l’anthropologie culturelle et sociale ». Selon l’anthropologue social D. F. Pocock, L’Esprit des lois de Montesquieu a été « la première tentative cohérente de recenser les variétés de la société humaine, de les classer et de les comparer et, au sein de la société, d’étudier l’interfonctionnement des institutions ». L’anthropologie politique de Montesquieu a donné naissance à ses théories sur le gouvernement. Lorsque Catherine la Grande rédigea son Nakaz (Instruction) à l’intention de l’Assemblée législative qu’elle avait créée pour clarifier le code de loi russe existant, elle avoua s’être fortement inspirée de l’Esprit des lois de Montesquieu, bien qu’elle ait écarté ou modifié les parties qui ne soutenaient pas la monarchie bureaucratique absolutiste de la Russie.

L’ouvrage le plus influent de Montesquieu divisait la société française en trois classes (ou trias politica, terme qu’il inventa) : la monarchie, l’aristocratie et les communes. Pour Montesquieu, il existe deux types de pouvoir gouvernemental : le pouvoir souverain et le pouvoir administratif. Les pouvoirs administratifs sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Ces pouvoirs doivent être séparés et dépendants les uns des autres, de sorte que l’influence de l’un d’entre eux ne puisse dépasser celle des deux autres, seuls ou en combinaison. Cette idée était radicale car elle éliminait complètement la structure à trois États de la monarchie française : le clergé, l’aristocratie et le peuple en général représenté par les États généraux, effaçant ainsi le dernier vestige d’une structure féodale.

La théorie de la séparation des pouvoirs découle en grande partie de L’Esprit des lois :

Dans tout gouvernement, il y a trois sortes de pouvoir : le législatif ; l’exécutif pour ce qui dépend du droit des gens ; et l’exécutif pour ce qui dépend du droit civil.

En vertu du premier, le prince ou le magistrat édicte des lois temporaires ou perpétuelles, et modifie ou abroge celles qui ont déjà été édictées. Par le second, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sécurité publique, et pourvoit aux invasions. Par le troisième, il punit les criminels, ou détermine les différends qui s’élèvent entre les particuliers. Nous appellerons ce dernier pouvoir le pouvoir judiciaire, et l’autre, simplement, le pouvoir exécutif de l’État.

– L’esprit des lois, livre XI

Montesquieu soutient que chaque pouvoir ne doit exercer que ses propres fonctions, il était ici très explicite :

Quand les pouvoirs législatif et exécutif sont réunis dans une même personne, ou dans un même corps de magistrats, il ne peut y avoir de liberté ; car des appréhensions peuvent naître, de peur que le même monarque ou le même sénat n’édicte des lois tyranniques, pour les exécuter d’une manière tyrannique.

Encore, il n’y a pas de liberté si le pouvoir judiciaire n’est pas séparé du législatif et de l’exécutif. S’il était joint au législatif, la vie et la liberté du sujet seraient exposées à un contrôle arbitraire ; car le juge serait alors le législateur. S’il était joint au pouvoir exécutif, le juge pourrait se comporter avec violence et oppression.

Il y aurait une fin à tout, si le même homme, ou le même corps, soit des nobles, soit du peuple, exerçait ces trois pouvoirs, celui de promulguer les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les causes des particuliers.

– L’esprit des lois, livre XI

Si le pouvoir législatif nomme les pouvoirs exécutif et judiciaire, comme l’indique Montesquieu, il n’y aura pas de séparation ou de division de ses pouvoirs, puisque le pouvoir de nommer emporte le pouvoir de révoquer.

Le pouvoir exécutif doit être entre les mains d’un monarque, parce que cette branche du gouvernement, ayant besoin de célérité, est mieux administrée par un seul que par plusieurs : d’autre part, tout ce qui dépend du pouvoir législatif, est souvent mieux réglé par plusieurs que par une seule personne.

Mais s’il n’y avait pas de monarque, et que le pouvoir exécutif fût commis à un certain nombre de personnes choisies dans le corps législatif, il y aurait une fin à la liberté, puisque les deux pouvoirs seraient réunis ; car les mêmes personnes posséderaient quelquefois, et pourraient toujours posséder, une part des deux.

– L’esprit des lois, livre XI

De même, il existait trois formes principales de gouvernement, chacune soutenue par un « principe » social : les monarchies (gouvernements libres dirigés par un personnage héréditaire, par exemple le roi, la reine, l’empereur), qui reposent sur le principe de l’honneur ; les républiques (gouvernements libres dirigés par des dirigeants élus par le peuple), qui reposent sur le principe de la vertu ; et les despotismes (gouvernements asservis dirigés par des dictateurs), qui reposent sur la peur. Les gouvernements libres dépendent d’arrangements constitutionnels fragiles. Montesquieu consacre quatre chapitres de L’Esprit des lois à une discussion sur l’Angleterre, un gouvernement libre contemporain, où la liberté est soutenue par un équilibre des pouvoirs. Montesquieu s’inquiète de l’érosion en France des pouvoirs intermédiaires (c’est-à-dire la noblesse) qui modèrent le pouvoir du prince. Ces idées de contrôle du pouvoir ont souvent été utilisées dans la pensée de Maximilien Robespierre.

Montesquieu a plaidé pour une réforme de l’esclavage dans L’Esprit des lois, en soutenant spécifiquement que l’esclavage était intrinsèquement mauvais parce que tous les humains naissent égaux, mais qu’il pourrait peut-être être justifié dans le contexte de climats avec une chaleur intense, dans lesquels les travailleurs se sentiraient moins enclins à travailler volontairement. Dans le cadre de son plaidoyer, il a présenté une liste hypothétique satirique d’arguments en faveur de l’esclavage. Dans la liste hypothétique, il listait ironiquement les arguments pro-esclavagistes sans autre commentaire, y compris un argument affirmant que le sucre deviendrait trop cher sans le travail gratuit des esclaves.

Alors qu’il s’adressait aux lecteurs français de sa Théorie générale, John Maynard Keynes décrivait Montesquieu comme « le véritable équivalent français d’Adam Smith, le plus grand de vos économistes, dépassant de la tête et des épaules les physiocrates en matière de pénétration, de lucidité et de bon sens (qui sont les qualités qu’un économiste devrait avoir). »

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