Pain, Symbolisme du

Oct 30, 2021

PAIN, SYMBOLISME DU. Le pain fait partie des aliments les plus populaires au monde. Qu’il soit levé ou azyme, transformé en miches ou en gâteaux, cuit au four, à la vapeur ou frit à l’huile, le pain est universel. Quel que soit le grain, le pain occupe une place importante dans toutes les civilisations. Il a une valeur nutritive exceptionnelle et, en tant que seul produit presque parfait pour l’alimentation humaine, il peut être consommé seul. Il est fabriqué à partir de farine, d’eau, de sel, de levure et parfois d’additifs.

L’agriculture a profondément marqué les croyances religieuses des communautés agricoles, et la symbolique du blé est profondément associée à celle du pain. Depuis le Néolithique, la mythologie et la représentation rituelle ont eu tendance à s’identifier à la vie végétale car le mystère de la naissance et de la mort de l’homme était à bien des égards similaire au cycle de vie des plantes.

La croissance des établissements, que les ethnologues qualifient de « grand tournant de l’humanité » et qui a été indirectement inspirée par la recherche du pain (l’agriculture n’était qu’un moyen à cette fin), a contribué à définir les institutions sociales et économiques (l’essor des droits de propriété, l’utilisation du blé comme forme de valeur d’échange, et ainsi de suite). La plantation et la récolte ainsi que les événements qui mettent en danger les cultures (inondation, sécheresse) étaient perçus comme des événements clés de la vie agricole.

Au cours de son cycle de vie, le grain de blé meurt et renaît des mois plus tard sous la forme d’un épi capable d’assurer la subsistance des êtres humains. Le blé est la quintessence de la plante nutritionnelle. On croyait qu’il renfermait le mystère de la vie et de la mort et il est donc devenu une plante sacrée. L’une des caractéristiques essentielles de l’ère néolithique était la culture des plantes. Cela a conduit à un mode de vie qui était auparavant inimaginable et a donné naissance à de nouvelles croyances qui ont complètement modifié l’univers spirituel de l’humanité.

Les liens religieux avec le monde animal ont été remplacés par ce que l’on pourrait appeler une solidarité mystique entre l’humanité et la végétation. En outre, la sacralité féminine et le principe féminin en général ont pris une plus grande importance en raison du rôle influent des femmes dans l’agriculture. La fertilité des femmes était associée à celle de la terre, et les femmes étaient responsables de l’abondance des récoltes en raison de leur connaissance du mystère de la création. Lors des fêtes de la fertilité à Syracuse (Sicile), on distribuait des pains de sésame en forme d’organes génitaux féminins.

Cette dimension sacrée et divine de l’épi de blé a contribué à l’associer au symbolisme de la résurrection. Des exemples subsistent sur les bas-reliefs du temple d’Isis, déesse égyptienne de la nature, épouse et sœur d’Osiris, à Philae, une île du Nil, où la momie d’Osiris, dieu des enfers, présente des épis de blé arrosés par un prêtre, symbolisant le nouveau blé qui va bientôt pousser. Ce même symbolisme se retrouve sur des statuettes d’argile d’Osiris contenant des grains de blé, qui étaient placées dans les tombes pour assurer la survie des morts.

Cette relation étroite entre la célébration des saisons, la mort et la renaissance du dieu, et la possibilité d’une vie au-delà de la tombe illustre clairement le lien entre le blé et Osiris et le symbolisme manifeste de la résurrection, qu’il représentait dans la religion égyptienne. L’Égypte ancienne était cependant loin d’être unique, car les plantes céréalières étaient associées à des divinités dans presque toutes les cultures, comme la déesse grecque Déméter et la déesse romaine Cérès.

Dans l’Ancien Testament, le blé et le pain sont des symboles de la fécondité de la terre. Le Nouveau Testament associe les fruits de la terre – un don de Dieu à l’humanité – au symbolisme du blé et associe les dons de Dieu au cœur des humains (la grâce), notamment dans la parabole du bon grain et du mauvais grain. Le pain devient le symbole du don suprême de Dieu à l’humanité – la vie éternelle, le corps du Christ dans l’Eucharistie : « Prenez ceci et mangez, car ceci est mon corps. »

En hébreu, « Bethléem » signifie « maison du pain ». La ville est située à sept kilomètres (cinq miles) au sud de Jérusalem et est considérée comme le lieu d’origine de la maison de David et le lieu de naissance de Jésus. Dans l’Ancien Testament, l’Éternel envoie la manne aux Hébreux lors de leur traversée du désert (Exode). La manne symbolise le pain et préfigure l’Eucharistie chrétienne. Elle est un signe de la générosité de Dieu envers les hommes. Le matzoh juif est un pain sans levain qui est consommé pour commémorer cet événement. Dans la foi catholique romaine, le pain azyme est utilisé pour préparer les hosties pour l’Eucharistie. L’Église orthodoxe utilise du pain levé.

Dans la Rome impériale, les boulangers (pistores ) célébraient le 9 juin, les Vestalies, en l’honneur de la déesse romaine Vesta. Dans les Fastes, le poète romain Ovide décrit comment les Romains en sont venus à vénérer Jupiter Pistor ou Jupiter le Boulanger. Selon Ovide, lorsque les Gaulois ont attaqué Rome en 387 avant J.-C., les Romains ont invoqué Jupiter et le grand dieu leur a conseillé de jeter par-dessus les murs ce qu’ils avaient de plus précieux. Tout en priant Cérès, ils préparèrent de petites miches de pain avec les restes de leur farine et les lancèrent sur leurs assaillants. Voyant cela, les Gaulois pensèrent que Rome était bien approvisionnée et avait les moyens de résister à un long siège, et ils abandonnèrent donc leur assaut de la ville. En reconnaissance, les Romains ont construit un temple à Jupiter Pistor qui associait le symbolisme du blé (vie, mort et renaissance) au destin de la ville.

Le pain n’est cependant pas associé uniquement à la spiritualité et à l’au-delà. Même dans l’Antiquité, la production de pain était associée à la procréation. Le processus de chargement, de cuisson et de déchargement du four est parallèle à la copulation, à la grossesse et à l’accouchement. En hébreu et en chaldéen, le mot zera a plusieurs significations, faisant référence à la graine de la plante, au sperme et à la progéniture humaine. L’hébreu zera est devenu le grec sperma, le latin semen et l’anglais « seed ». Le placenta latin était le nom d’une pâtisserie très appréciée servie les jours de fête dans la Rome antique. Le levain, qui joue le rôle du grain ou de la graine, est également appelé « mère » en anglais et madre en espagnol. En Égypte, le panier dans lequel on laisse reposer la pâte est appelé cercueil. Diverses expressions populaires associent le pain à la notion de procréation. En France, on dit d’une jeune femme qui se retrouve enceinte avant le mariage qu’elle a « emprunté une miche à la fournée ». En Angleterre, l’expression « a bun in the oven » fait référence à la grossesse d’une femme. Le pain symbolise les forces de la vie, et un élément d’érotisme est associé à sa fabrication. Le mot français quatre (autrefois forn ) pour four est dérivé du latin d’église fornicatio, lui-même dérivé de fornix, qui signifiait littéralement une voûte mais figurativement une prostituée. Dans la Rome antique, les prostituées forniquaient avec leurs clients dans des pièces voûtées qui ressemblaient à des fours.

Le mot français miche, utilisé pour un pain rond, signifie aussi poitrine ou fesses, et un bâtard est une baguette française épaisse. En anglais buns désigne les fesses ainsi que divers petits pains ronds. En Italie, dans la région de Naples, un petit pain est connu sous le nom de « pénis d’ange », et en Allemagne, Brotleib peut faire référence au corps féminin.

La faucille est souvent associée au blé et au pain en raison de son rôle dans la récolte, mais elle est également associée au dieu Saturne, au gui des druides et à l’arc en argent qui appartenait à Artémis, la sœur du dieu soleil Apollon. C’est pourquoi, en ce qui concerne les céréales, la faucille remplit l’une des fonctions de la lune, car la récolte met fin à un cycle de vie qui commence avec la mort du grain de blé. Comme la faux, la faucille sert de fin positive au cycle car elle signifie la récolte et la nourriture, tant physique que spirituelle. Elle préfigure également le symbolisme du blé, le pain du futur, et d’autres promesses de transformation.

Le pain est un objet de croyance et de superstition dans de nombreuses cultures. Les Hittites croyaient que le pain servi aux soldats les préservait de l’impuissance et que le pain levé permettait d’éloigner les épidémies (à condition qu’il soit placé dans un tonneau spécial). En Belgique, au Moyen Âge, le pain pétri la veille de Noël protégeait la maison contre la foudre. Dans de nombreux endroits, les gens offrent du pain et du sel aux jeunes mariés pour exprimer leur espoir de santé et de prospérité. En Russie, une salière est placée au-dessus de la miche de pain, qui est présentée au couple par l’une de leurs mères.

De nombreuses autres croyances anciennes se sont perpétuées au XXIe siècle. En Suède, il est de coutume de préparer un pain rond et plat percé d’un trou à la naissance d’une fille, et ce pain est consommé le jour de son mariage. À Hambourg, en Allemagne, un pain triphal très suggestif est offert aux mariés le jour de leur mariage. Depuis des siècles, les chrétiens font le signe de la croix sur la croûte d’une miche de pain avant de la couper.

Jeter le pain ou le placer à l’envers sur la table est censé porter malheur. Cette superstition est liée à une ancienne croyance selon laquelle le pain tourné vers les entrailles de la terre, donc vers l’enfer, attire les mauvais esprits. Dans une autre croyance médiévale, les boulangers refusaient d’avoir tout contact physique avec le bourreau de Paris ou même de le servir, un homme qui inspirait la peur et était tenu en mépris par les habitants de la ville. Finalement, le roi a été contraint de publier un édit qui obligeait les boulangers à servir le bourreau. En signe de protestation et de mécontentement, les boulangers retournaient le pain du bourreau sur la grille pour le distinguer des autres.

Divers pouvoirs sont attribués au pain béni par un prêtre. A la fin de la fête en l’honneur de Saint Joseph en Sicile, les invités sont renvoyés chez eux avec un morceau de pain consacré à conserver dans la maison pour apporter fertilité et bonne fortune dans l’année à venir. Lors de la fête de Saint Calogero, les Siciliens apportent à l’église des ex-votos faits de pain recouvert de graines de pavot pour être bénis. Les insulaires conservent du pain consacré qu’ils jettent sur les eaux tumultueuses pour le retour sain et sauf des pêcheurs en mer. Le kulich (pain de Pâques russe), un pain cylindrique bombé, est décoré de symboles religieux de Pâques (notamment XB pour Khristos Voskrese ou Christ est ressuscité), entouré d’œufs teints, surmonté d’une bougie en cire d’abeille, et apporté à l’église pour être béni.Selon la croyance populaire, le signe d’un kulich parfaitement cuit est qu’il ne moisira jamais ; certains disent qu’il durera un an. Le kulich est partagé avec les défunts lorsque, le lundi de Pâques, les familles se rendent au cimetière pour pique-niquer sur les tombes. En Russie, les véritables blinis, crêpes à base de levure préparées une seule fois par an pendant la Maslenitsa ou semaine du beurre (Mardi Gras), représentent le soleil – rond, doré et chaud – et symbolisent l’arrivée du printemps. On en laisse toujours une à la fenêtre pour les défunts.

La kutya, un pudding sucré au blé et aux baies, est traditionnellement le premier ou le dernier aliment consommé à Noël. Bien qu’il s’agisse plus d’une bouillie que d’un pain, le kutya, qui est décoré d’une croix de tranches d’amandes sur le dessus, est apporté sur les tombes ou même jeté dans la tombe ouverte. On l’offre également pour apaiser le Père Noël. La kutya ressemble étrangement à la cuccìa, un pudding sicilien à base de blé et de baies servi à l’occasion de la fête de Sainte Lucie, où traditionnellement aucune céréale moulue n’est consommée. (Sainte Lucie était une martyre aveugle, et sous le calendrier julien, sa fête était le jour le plus sombre de l’année, le premier jour de l’hiver ; elle est célébrée le 13 décembre sous le calendrier grégorien.)

Pendant des siècles, le pain a été une arme politique et économique redoutable, et depuis la Rome antique, les personnes au pouvoir ont toujours gardé un œil attentif sur sa disponibilité. Les boulangers romains, par exemple, étaient étroitement réglementés et sous le contrôle de l’État. L’État romain est allé jusqu’à nationaliser l’industrie boulangère. En France, plus d’un millénaire et demi plus tard, les famines répétées ont déclenché la Révolution française. Les lettres de Napoléon pendant ses campagnes attestent de l’extrême préoccupation de l’empereur pour l’approvisionnement en pain de Paris. Le poids et le prix du pain étaient encore réglementés par l’État en France au XXIe siècle.

Les pains anciens ont été une source d’inspiration. Ils constituent une riche réserve d’idées pour les boulangers du vingt-et-unième siècle. Si les techniques de fabrication du pain ont changé, l’estomac humain, lui, n’a pas changé. Les méthodes industrielles de production et de congélation ont permis de créer de nouveaux types de pain, mais le pain industriel ne remplacera jamais le pain artisanal, qui a connu une sorte de renaissance aux États-Unis au début du XXIe siècle. La nouvelle gastronomie met l’accent sur la qualité bien plus que sur la quantité.

Aliment symbolique d’envergure internationale, le pain est la quintessence de l’alimentation humaine. Son histoire sous-tend une grande partie de l’histoire du genre humain, la plus simple peut-être dans l’histoire de la vie quotidienne et de l’alimentation. Il relie les gens à la culture, à la tradition, et parfois à la religion.

Voir aussi Cuisson ; Pain ; Métaphore, aliment comme ; Symbole, aliment comme ; Blé .

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Lionel Poilâne

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