Cependant, ce n’est pas avant la période suivante, celle de l’Ubaid (4300-3500 av. J.-C.), que les premières bonnes indications de sociétés socialement et politiquement stratifiées sont apparues dans des endroits favorables, en particulier là où cette culture s’est répandue dans le sud. Partout où l’eau pouvait être apportée aux sols des plaines du sud, la terre était transformée en l’une des plus productives d’Asie occidentale. Ces régions sont composées de limons fertiles déposés par le Tigre et l’Euphrate, de la même manière que le Nil déposait chaque année des limons fertiles dans son cours inférieur. En basse Mésopotamie, la combinaison de la technologie de l’irrigation et de cultures à haut rendement permettait de produire des excédents inégalés. Ces conditions ont donné naissance à des chefferies qui ont rapidement donné naissance aux premières civilisations de l’Ancien Monde, les Sumériens. Des indices de chefferies peuvent être détectés au cours de la période oubaïde en termes d’objets de prestige améliorés (y compris les premiers véritables objets en cuivre fondu avec des haches ainsi que des bijoux), d’utilisation substantielle de l’irrigation (bien que toujours à un niveau technologique de base), d’architecture monumentale debout beaucoup plus importante (à Tepe Gawra, 20 bâtiments entourent un sanctuaire central et une cour de 20 m de côté), de riches sépultures pour certaines familles dans des tombes plâtrées, de nombreux sceaux et des sites d’une taille allant jusqu’à 25 acres. Dans le Khuzistan voisin, on trouve des groupes de sites distincts, chacun contenant un site central un peu plus grand, indiquant l’existence de polities séparées (chacune présentant une hiérarchie politique telle que celle des chefferies). C’est un modèle qui est devenu beaucoup plus prononcé à la fin de la période et qui est devenu beaucoup plus élaboré dans la période sumérienne avec la formation des cités-états.

Avec le déplacement dans la niche très productive des plaines d’inondation inférieures du Tigre et de l’Euphrate, les surplus basés sur la production de nourriture domestiquée ont rapidement augmenté et les changements culturels se sont produits si rapidement que certains chercheurs se demandent même si une phase de développement de la chefferie a vraiment précédé la formation de l’État en Mésopotamie. De l’avis de l’auteur, il s’agit là d’une interprétation extrême et injustifiée des données archéologiques. Que l’on veuille qualifier de  » grands hommes « , de  » grands hommes « , d' » entrepreneurs « , de  » chefs  » ou d’autres épithètes les personnes qui poussaient leurs propositions de changement dans leur propre intérêt n’a aucune importance pour l’argument selon lequel ce sont ces individus qui ont été à l’origine des changements culturels qui sont apparus avant, pendant et après la production alimentaire basée sur les animaux domestiques. Ces individus ont créé les stratégies qui ont tiré profit de la production excédentaire et ont créé les pressions intenses pour une production excédentaire toujours plus intensifiée.

Il semble clair qu’au cours des millénaires, la production alimentaire basée sur la domestication a fini par créer une base de subsistance beaucoup plus productive que la production alimentaire basée sur les espèces sauvages ne pourrait jamais atteindre. Associés à des environnements favorables et à la technologie, les domestiqués ont permis de produire des surplus alimentaires à une échelle sans précédent chez les chasseurs-cueilleurs complexes. Ces excédents alimentaires pouvaient à leur tour être utilisés pour produire des biens de prestige toujours plus nombreux, financer des fêtes toujours plus somptueuses et soutenir une complexité politique toujours plus grande. Le résultat fut la création des premières entités politiques de niveau étatique : les cités-états sumériennes que Samuel Noah Kramer a comparées avec tant d’éloquence aux sociétés industrielles contemporaines. S’il est vrai que les États sumériens nous donnent un premier aperçu des types de sociétés modernes, caractérisées par un haut degré de complexité sociale et économique, la spécialisation, l’écriture, les codes de loi, le commerce et les maux sociaux, à un niveau plus élémentaire, les valeurs et les pratiques qui ont jeté les bases de ce type de caractéristiques sont d’abord apparues chez les chasseurs-cueilleurs complexes. C’est la domestication qui a permis le plein développement du potentiel de ce nouveau type de culture. Cependant, la logique de base de la propriété privée, de la production de surplus, de l’investissement et de l’utilisation de biens de prestige, n’a pas changé depuis que les chasseurs-cueilleurs complexes ont été les pionniers de ces développements.

Alors que nous sortons aujourd’hui de la période industrielle et que nous entrons dans une nouvelle période nucléaire/cybernétique, nous n’avons pas encore réalisé le plein potentiel du type de système culturel et écologique qui a commencé avec les chasseurs-cueilleurs complexes. Les formes d’énergie excédentaire que nous utilisons aujourd’hui se sont étendues de la production alimentaire aux combustibles, au vent, à l’eau, au soleil et aux combustibles nucléaires, mais la stratégie fondamentale consistant à produire de l’énergie excédentaire et à concevoir des stratégies pour convertir cette énergie en produits et relations désirables n’a pas changé. Aujourd’hui, il est impossible que la croissance et le changement se poursuivent au rythme actuel. Nos cultures doivent créer un équilibre plus stable dans les siècles à venir. La forme exacte que prendra la culture à ce moment futur est difficile à prédire, mais elle devra finalement son existence à la production élargie d’énergie excédentaire que la domestication a initialement rendue possible.

L’augmentation du niveau de complexité au-delà des communautés transégalitaires est le véritable héritage de la production alimentaire et de la domestication. Elle a ouvert une boîte de Pandore de potentiel productif qui a continuellement étiré le système établi par les chasseurs-cueilleurs complexes vers des limites toujours plus complexes. Nous continuons à étendre ce même système de base et ses limites dans notre propre société. Il est intéressant de réfléchir au rôle omniprésent que jouent les biens de prestige dans notre propre système social aujourd’hui et à la manière dont ce système va évoluer dans un avenir prévisible. L’argument de l’auteur est qu’au cours des 30 000 dernières années, et surtout des 10 000 dernières années, nous avons créé un nouveau type de système écologique sans équivalent dans le monde naturel qui nous entoure. Il n’existe aucune autre espèce capable de convertir facilement le surplus de production disponible en d’autres avantages pour la survie et la reproduction. D’autres espèces peuvent être capables de s’adapter génétiquement afin de convertir des ressources supplémentaires en appendices corporels ou en affichages qui confèrent des avantages sélectifs, mais aucune ne peut convertir des ressources supplémentaires pour se bénéficier de façon immédiate. Seuls les humains peuvent le faire.

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