L’absinthe est un alcool de grain d’origine suisse qui est fabriqué par macération d’herbes et d’épices, dont les plus importantes sont le fenouil, l’anis et l’absinthe. Les deux premiers donnent à l’absinthe son goût caractéristique de réglisse. L’absinthe confère une saveur amère et est à l’origine de la célèbre mystique de l’absinthe et de sa teinte vert jade.
L’absinthe est réglementée par la Food and Drug Administration et, jusqu’à récemment, était complètement interdite aux États-Unis et dans la plupart des pays européens. La raison en est que l’absinthe contient de la thuyone, un produit chimique toxique présent dans plusieurs plantes comestibles, dont l’estragon, la sauge et l’absinthe. Pourquoi la thuyone est-elle si dangereuse que sa présence dans votre verre d’alcool doit être réglementée par la FDA ? La réponse a plus à voir avec l’histoire qu’avec la science.
Avant l’interdiction au début des années 1900, l’absinthe était omniprésente. Si vous consultez une liste de personnes célèbres qui ont bu de l’absinthe, vous remarquerez qu’il y en a beaucoup. C’est parce que pratiquement tous ceux qui étaient cool entre 1850 et 1900 en ont bu. Étant à la fois la dernière mode en matière d’alcool et extrêmement riche en alcool, l’absinthe était parfois responsable d’épisodes d’ivresse furieuse, de délires occasionnels et même de la mort. Un peu comme Four Loko aujourd’hui.
A mesure que sa popularité se répandait, les incidents d’abus d’alcool liés à l’absinthe se répandaient également. La société en vint progressivement à associer l’absinthe à l’alcoolisme et à la dégénérescence en général. Un psychiatre français nommé Dr. Valentin Magnan alla même jusqu’à accuser l’absinthe de ce qu’il considérait comme un effondrement de la culture française.
Le Dr. Magnan entreprit de prouver par l’expérience scientifique que l’absinthe était la racine des maux de la société française. Il a mené toutes sortes d’expériences scientifiques sur des animaux en utilisant la thuyone et l’huile d’absinthe. Il observa que les souris qui ingéraient de fortes concentrations de thujone avaient des convulsions et mouraient. Il a même donné à un chien un flacon d’huile d’absinthe et l’a vu devenir fou et aboyer contre un mur de briques pendant une demi-heure. (Cette expérience, soit dit en passant, est à l’origine du mythe selon lequel l’absinthe provoque des hallucinations. Ce n’est pas le cas.)
Ces expériences et d’autres semblaient confirmer le bon sens de l’époque : L’absinthe rendait les gens fous. Il est devenu de notoriété publique que l’absinthe avait des pouvoirs induisant la folie et psychoactifs.
Puis, en 1905, un Suisse nommé Jean Lanfray a assassiné sa femme et ses deux filles dans une rage d’ivrogne une nuit. Lanfray avait bu de l’absinthe (ainsi que du cognac, du brandy, de la crème de menthe, du vin et de la bière) depuis le petit déjeuner, et la veille, et le jour précédent, et le jour précédent. Le procès Lanfray a mis l’absinthe sous les feux de la rampe.
Combiné avec les preuves produites par le Dr Magnan, le crime a été ajouté au récit du mouvement de tempérance, qui préconisait une interdiction de l’absinthe. Au début des années 1900, le spiritueux était interdit dans la plupart des pays d’Europe et des États-Unis. Les interdictions ont persisté pendant plus de cent ans.
Nous savons maintenant que que les effets toxiques de la thuyone étaient grandement exagérés. Un homme adulte de taille moyenne devrait consommer environ 30 mg de thuyone pour ressentir ses effets toxiques, qui comprennent une vision en tunnel, des tremblements et un temps de réaction retardé. Ces effets sont similaires à ceux d’autres produits chimiques toxiques, par exemple l’alcool.
Si les expériences du Dr Magnan reposaient sur de fortes doses d’huile d’absinthe pure et de thuyone, il n’y a en réalité pas tant de thuyone que cela dans l’absinthe. Des tests de chromatographie en phase gazeuse sur des bouteilles d’absinthe produites au 19ème siècle ont révélé des niveaux moyens de thuyone de 25mg/L. Certaines avaient des niveaux aussi bas que 0,5mg/L. Certaines avaient des niveaux aussi bas que 0,5mg/L. Aujourd’hui, les niveaux de thuyone dans l’absinthe sont plafonnés à 10mg/L aux Etats-Unis, et à 38mg/L en Europe. Cela signifie que vous mourriez d’un empoisonnement à l’alcool avant d’avoir consommé suffisamment d’absinthe pour être empoisonné par 30mg de thuyone. Cela était vrai même à l’époque du Dr Magnan.
Cela fait s’interroger sur la façon dont nous réglementons les produits chimiques effrayants. La Thujone, comme tout autre produit chimique naturel ou artificiel, n’est toxique qu’à certains niveaux. Le Programme national de toxicologie produit le « Rapport sur les substances cancérigènes » qui en est actuellement à sa 12e édition. La science qui sous-tend ce rapport s’appuie fréquemment sur des expériences au cours desquelles de fortes doses de produits chimiques sont administrées de manière répétée à des rongeurs. Lorsque ces expériences, comme celle du Dr Magnan, sont comprises dans le contexte de peurs sociétales préexistantes, nous ne devrions pas être surpris par des réglementations qui sont hors de proportion avec la menace posée par les produits chimiques.