Certaines juridictions, principalement à l’extérieur des États-Unis, accordent aux œuvres créatives un ensemble de droits collectivement appelés « droits moraux » qui supplantent les droits d’auteur et les droits de brevet et donnent à l’artiste le droit de protéger son œuvre même s’il a concédé une licence pour le droit d’auteur. En prenant le Canada comme exemple, le présent article expose brièvement les fondements des droits moraux et les différencie des droits plus traditionnels de propriété intellectuelle auxquels sont confrontées les entreprises aux États-Unis. D’autres juridictions ont leurs propres versions des droits moraux et celles-ci devraient être examinées si l’œuvre créative doit être protégée ou exploitée dans ces endroits.

Le lecteur devrait d’abord consulter notre article sur la propriété intellectuelle.

L’essentiel :

Au Canada, et dans la plupart des autres juridictions de « droits moraux », l’essence des droits moraux est de permettre au créateur de préserver « l’intégrité » de l’œuvre et d’être « associé » à l’œuvre même si celle-ci a été transférée à une autre partie. Contrairement à tous les autres droits d’auteur, les droits moraux continuent d’appartenir à l’artiste original, même si le droit d’auteur a été cédé ou vendu à un tiers, comme une société qui a engagé le créateur. La seule façon d’ignorer les droits moraux est que l’artiste original renonce explicitement à tous les droits moraux. Ce n’est pas parce que le créateur a transféré le droit d’auteur qu’il renonce automatiquement aux droits moraux.

Les droits moraux sont normalement concomitants aux divers droits d’auteur que le créateur peut avoir. En plus des droits d’auteur typiques des œuvres d’art, la loi canadienne autorise les droits moraux, qui prévoient le droit de l’artiste  » à l’intégrité de l’œuvre et… le droit, lorsque cela est raisonnable dans les circonstances, d’être associé à l’œuvre en tant qu’auteur par son nom ou sous un pseudonyme et le droit de rester anonyme  » . Le droit à l’intégrité de l’œuvre tel qu’il est utilisé ici est défini comme « le droit de l’auteur d’empêcher que l’œuvre ne soit déformée, mutilée ou modifiée, au préjudice de son honneur ou de sa réputation, ou qu’elle ne soit utilisée en association avec un produit, un service, une cause ou une institution ».

Pour qu’il y ait eu atteinte au droit moral de l’artiste, il faut que l’œuvre produite ait été produite ou exposée de manière à « porter atteinte à l’honneur ou à la réputation » de l’artiste. Ceci peut être réalisé de l’une des deux manières suivantes :

1. Si l’œuvre est déformée, mutilée ou modifiée

2. Si l’œuvre est associée à un produit, un service ou une cause spécifique

Les deux atteintes au droit moral susmentionnées ne constituent une infraction que subordonnée au fait que la réputation et l’honneur de l’artiste ont été entachés. L’exception à cette règle se produit dans le cas d’une peinture, d’une sculpture ou d’une gravure, auquel cas toute déformation ou modification, qu’elle porte ou non atteinte à la réputation de l’artiste, sera considérée comme une atteinte au droit moral .

Exemples canadiens :

L’une des affaires canadiennes les plus notables concernant les droits moraux est l’affaire Snow c. The Eaton Centre Ltd. (1982). L’artiste Michael Snow a intenté une action contre le Centre Eaton de Toronto qui avait, dans l’esprit de la saison de Noël, placé des rubans rouges sur sa sculpture Flightstop. Snow estimait que les rubans avaient déformé son œuvre et en avaient compromis l’intégrité. La Haute Cour de justice de l’Ontario a jugé que le geste posé par le Centre avait en fait porté atteinte à la réputation de Snow, sur la base du témoignage d’artistes de la communauté.

Dans l’affaire Prise de Parole Inc. c. Guerin (1995), le demandeur estimait que l’éditeur avait porté atteinte à ses droits moraux en publiant des extraits de l’œuvre originale de l’auteur. La Cour, après avoir examiné l’avis de l’auteur ainsi que des experts de l’industrie de l’édition, a jugé que les modifications apportées par l’éditeur n’avaient pas porté atteinte à l’honneur ou à la réputation de l’auteur et qu’il n’y avait donc pas eu d’atteinte au droit moral.

En outre, en vertu du droit canadien, il ne peut être considéré comme une violation du droit moral si les modifications apportées à l’œuvre d’art originale le sont soit comme

  1. un changement de l’emplacement d’une œuvre, du moyen physique par lequel une œuvre est exposée ou de la structure physique contenant une œuvre
  1. des mesures prises de bonne foi afin de restaurer ou de préserver l’œuvre originale

Droit d’auteur contre droit moral :

Il est important de noter la distinction cruciale entre les droits d’auteur et les droits moraux dans la plupart des circonstances. Contrairement à tous les autres droits d’auteur, le droit moral ne peut être cédé à une autre partie ou entité. Même si l’artiste original accorde à une autre partie tous les droits d’auteur, les droits moraux restent la propriété de l’artiste original. Le seul moyen par lequel les droits moraux peuvent devenir sans objet est que l’artiste original renonce contractuellement à ses droits moraux. Dans le cas où une renonciation aux droits moraux est faite en « faveur d’un propriétaire ou d’un licencié du droit d’auteur, elle peut être invoquée par toute personne autorisée par le propriétaire ou le licencié à utiliser l’œuvre, sauf indication contraire dans la renonciation » .

Dommages et réparations :

Selon l’article 34 (2) de la loi sur le droit d’auteur, le titulaire du droit moral a droit à « tous les recours par voie d’injonction, de dommages et intérêts, de comptes, de remise et autres qui sont ou peuvent être conférés par la loi pour l’atteinte à un droit » .

Pensées finales :

Vu la nature internationale de la plupart des affaires impliquant des œuvres créatives, qu’elles soient artistiques, de conception ou numériques, le concept de droits moraux devrait être familier à toute personne impliquée dans le processus. Ce qui est souvent difficile à saisir pour ceux qui sont versés dans les critères purement commerciaux, c’est le sens émotionnel des critères à utiliser. Notez que « la réputation et l’honneur » sont des facteurs généralement pris en compte par le juge des faits, et non pas simplement l’utilisation économique ou l’utilisation pratique. Un exemple typique serait la modification d’une œuvre d’art pour l’intégrer dans un schéma architectural particulier. Même si elle est vendue à l’entité qui installe l’œuvre, une telle modification permettrait d’engager avec succès un litige.

Et dans le monde où les logiciels développent l’art, le design et d’autres aspects esthétiques, les droits moraux s’appliquent aussi pleinement dans des domaines qui ne sont pas souvent considérés comme purement « artistiques ».

Ces droits peuvent faire l’objet d’une renonciation et la personne ou l’entité qui les achète doit prendre le temps d’envisager soigneusement l’obtention de ces droits et la mémorisation de la renonciation dans un document écrit approprié et juridiquement contraignant. Voir notre article sur les contrats.

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